En 2020, la journaliste et autrice féministe Lucile Bellan signait avec l’illustratrice Petite Bohème un Kamasutra nouvelle génération et plus égalitaire. Elle rempile en 2021, mais cette fois-ci avec un guide éclairé de la masturbation.

Sous-titré “Se faire plaisir seule ou à deux”, l’ouvrage ne cache donc pas sa cible : les femmes. L’autrice propose une approche didactique volontairement féministe qui démarre par une introduction sur les sexes et la connaissance du corps. Car, qu’on le veuille ou non, apprendre son anatomie participe à notre prise de conscience des injonctions patriarcales et des stéréotypes de genre. D’après un rapport 2017 du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, une fille de 15 ans sur quatre ne sait pas qu’elle a un clitoris !  

Une méconnaissance loin d’être anecdotique et qui s’explique par la toute puissance masculine au XIXe siècle au sein des cercles scientifiques. C’est d’ailleurs pour rompre avec cette ignorance de nos corps et de nos plaisirs que Clarence Edgard-Rosa publiait en 2019 aux éditions La Musardine, Connais-toi toi-même – Guide d’auto-exploration du sexe féminin.  

Et c’est cette même soif d’égalité qui a poussé Lucile Bellan à oser aborder un sujet encore tabou. “Le plaisir féminin semble alors être un terrain à conquérir où de légers frémissements viennent combler un manque criant sans toutefois nous amener à l’égalité”, écrit la journaliste en introduction de son ouvrage qui recense pas moins de 50 méthodes pour se donner du plaisir en redevenant maîtresse de son corps grâce au savoir. Car non, le vagin n’est pas la vulve et le clitoris ne sert pas à rien. “Moi, je peux dire que, malgré une vie sexuelle active, j’ai vécu en ignorant mon sexe pendant presque vingt-cinq ans”, confie Lucile Bellan. Avec elle, nous avons parlé d’injonctions, de consentement et de plaisir féminin.

Votre livre n’est pas uniquement un guide de postures et de conseils, mais se propose d’aborder la sexualité – et la masturbation plus précisément – avec un point de vue féministe. Pourquoi ce choix ? 

En tant que journaliste, je travaille depuis une petite dizaine d’années sur l’intime et le témoignage. Je trouve important de faire porter des voix que l’on n’entend pas sur des questions si personnelles, parce que l’intime est politique et parce que le travail de témoignage peut selon moi développer l’empathie. En 2020, j’ai signé un Kamasutra féministe. À l’époque, le but était de proposer quelque chose de plus inclusif et réflexif sur les formes de sexualité, de rajouter des éléments de réflexion sur le consentement, l’hygiène, sur le respect de l’autre ou encore sur une sexualité pénétrative à tout prix.

La masturbation, c’est la suite logique d’une réflexion sur une sexualité pas forcément “pénocentrée”. Il y a plein de moments dans la vie où la pénétration n’est pas souhaitable : après l’accouchement, pendant la ménopause ou encore à différentes phases du cycle menstruel pour certaines femmes. On n’est pas toutes et tout le temps disponibles à la pénétration. Se concentrer sur la masturbation, en solo ou en duo, permet d’ouvrir ces champs de réflexion.  

Pour vous, la masturbation en solo est un geste politique ?  

Pour moi, c’est un outil de pouvoir encore très peu utilisé. Les femmes sont encore extrêmement soumises à la toute puissance du corps médical sur leur sexe.  

Se masturber, voir son sexe, savoir comment il fonctionne, connaître son cycle, son intimité, c’est reprendre du pouvoir sur ces sujets. C’est s’autoriser à dire : ‘Non, je ne suis pas d’accord sur votre analyse’. Ou encore : ‘J’arrive forte de mes croyances, car je me connais, je connais mon corps’.C’est un outil extrêmement fort, également auprès de partenaires éventuels. Dans le cadre d’une relation hétérosexuelle – où l’on sait statistiquement qu’elle est beaucoup trop focalisée sur la pénétration et le plaisir de l’homme et pas toujours satisfaisante pour les femmes -, savoir se faire jouir, c’est aussi être plus à même de refuser des rapports sexuels non satisfaisants.  

Dans l’introduction de votre livre, vous décrivez la charge mentale des femmes (tâches ménagères, gestion des enfants etc) comme un obstacle à la masturbation. Comment se manifeste-t-elle ?  

Pendant des années, on nous a appris à nous focaliser sur le plaisir de l’homme. On nous a dit que les femmes ne pouvaient pas avoir d’orgasme comme les hommes. Aujourd’hui, il y a de fait beaucoup de préjugés à déconstruire. Comme par exemple celui selon lequel les hommes ont besoin de se masturber régulièrement, et pas les femmes. Dans leur vie, les hommes consacrent du temps à la masturbation, parce qu’on leur a dit que c’était nécessaire, physiologique… et cool aussi, bien sûr. Des choses que l’on n’a jamais enseignées aux femmes. On leur dit plutôt que c’est très compliqué : ‘Les hommes ont du mal à vous faire jouir, alors pourquoi vous y arriveriez ?’  

Au final, femmes et hommes ne vont pas investir autant de temps dans la masturbation. La charge mentale des femmes les oblige à aller vers l’efficacité. Elles vont plus avoir tendance à créer une complicité avec un·e partenaire sexuel, plutôt que de consacrer du temps à leur propre plaisir.  

La masturbation est au cœur d’une oppression patriarcale qui a délibérément caché et effacé le corps des femmes. Comment cela se traduit-il côté plaisir ?  

On nous a déconnectées de notre propre sexe en nous faisant croire que nous n’étions pas habilitées à le découvrir, à l’embrasser, à le maîtriser. C’est le syndrome de la Barbie : il y a des femmes pour qui descendre leur main est impossible, donc encore plus se regarder dans un miroir. Il faut savoir que pour de nombreuses femmes, le temps alloué à ce genre d’activités n’existe pas. C’est donc plus simple pour des hommes hétérosexuels de manière générale d’avoir face à eux des femmes qui ne savent pas jouir, car elles ne vont jamais râler. Une femme qui ne sait pas se donner du plaisir, qui ne sait pas jouir, pense que c’est impossible. Beaucoup d’entre elles pensent qu’elles sont physiologiquement incapables de jouir.  

C’est beaucoup plus simple pour un partenaire masculin que d’avouer qu’il a échoué à trouver notre clitoris. Cela nous enferme dans une sexualité spécifique. Il faut savoir que ce que l’on sait du clitoris est assez récent. On est encore à essayer de sortir de cette dialectique ‘clitoridienne’ ou ‘vaginale’. Quant aux hommes, ils ne sont pas tous prêts à entendre que le clitoris a aussi des érections et que son fonctionnement se rapproche de celui du pénis.  

Pourquoi est-ce important, voire urgent, de poser un autre regard sur notre rapport au sexe féminin ?  

Je m’interroge beaucoup sur les raisons qui nous poussent à accepter que notre sexe soit quelque chose de douloureux, que l’on connaît qu’à travers la souffrance, entre les règles, l’esthéticienne (que l’on s’oblige à aller voir même si on ne sait plus bien pourquoi), les frottis, le spéculum et autres gestes très invasifs ! C’est une approche très biblique de la femme qui doit souffrir par son sexe. Se rendre compte que c’est positif d’avoir un sexe de femme, d’être une femme, que c’est facile de jouir, cela nous permet de revoir tous les rapports de force, et de reconnaître qu’ils sont biaisés. Le sexe des femmes est politique, dans les pratiques et par ce qu’il est.  

Masturbation, se faire plaisir seule ou à deux de Lucile Bellan, illustrations Petite bohême, Éditions Leduc, 18 euros

On vous a demandé dans notre numéro du 17 juillet quelles étaient pour vous les conditions d’une sexualité féministe. Voici vos réponses.

Celle où une femme se sent pleinement en sécurité, en confiance, sans tabou afin qu’elle puisse se lâcher, désirer et se sentir désirée sans perdre le contrôle. Par contrôle, je veux dire qu’elle peut perdre celui de ses émotions, c’est même une bonne chose, mais surtout ne pas se sentir dominée injustement ou manipulée.

Léa, 31 ans

Dans une relation hétérosexuelle, la femme ne doit pas avoir la charge mentale de la contraception : elle doit aussi être portée par l’homme. L’homme doit respecter les envies de la femme, connaître le consentement et l’anatomie féminine : la sexualité, pour certaines et certains, se résume à la pénétration vaginale et c’est une idée reçue trop répandue.

Lionel, 49 ans

Pour une sexualité féministe, il nous faut, hommes comme femmes sortir des clichés, des stéréotypes… Et surtout connaître nos anatomies et nos fonctionnements respectifs. Refuser que l’un prenne le pouvoir sur l’autre, être dans l’échange, le dialogue. La sexualité est tout sauf impulsive.
Cela demanderait aussi de revoir les scènes de sexes dans les films, notamment d’arrêter de nous imposer des corps de femmes quasi nus avec des positions suggestives dans les vitrines, les magazines, dans les pubs etc.

Anabel, 52 ans

Difficile de répondre, car j’ai l’impression que c’est un peu une utopie (qui j’espère se réalisera un jour). Mais les principaux aspects sont : la prise en compte du désir féminin, le consentement, la fin du rapport qui se termine par l’éjaculation masculine, la connaissance du corps de l’autre par le·la partenaire. Et aussi la pénétration qui n’est plus systématique, et qui peut éventuellement être autre que celle du pénis-vagin.

Amélie, 24 ans

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C'est tout bon, on se retrouve tru00e8s vite !
Publié par :Elsa Pereira

Journaliste indépendante obsédée par le manspreading dans le métro.